Instincts de vie

"Le plus grand obstacle à la vie est l'attente qui espère demain et néglige aujourd'hui"

SENEQUE

Je vous présente Paolo, 16 ans, un look d'acteur, beau gosse, regard de séducteur avec un charme terrible et qui sait gentiment en jouer.

Chez lui, pas de violence, du moins sur les autres, c'est intérieur.

Il s’afflige à lui-même la désespérance du monde avec tout le poids de la tristesse sur ses épaules.

Une voix douce l’accompagne quand il s’adresse à un tiers dont une empathie immédiate fait écho. D’un tempérament nerveux que personne ne sous-estime, son aura dégage et inspire le respect.

Faut dire que son entrée dans la vie n’a pas été placée sous de bons auspices car sa naissance a d'emblée été marquée par un abandon, sa mère l’ayant déposé devant le perron d’une église avec son prénom inscrit dans le couffin, accompagné de quelques informations personnelles. 

Installée dans une profonde déprime, la mère a tenté de se suicider en voulant passer sous un train qu’un passant a sauvé in extremis en la récupérant par la manche de son manteau.

Acte de détresse qui s'est transformé en acte salvateur, après des soins et une thérapie, elle émerge de sa dépression et finit par retrouver goût à la vie grâce au soutien et à l'amour de l'homme qui l'a sauvée. Guérie et en état d'assumer sa place de maman, elle a récupéré son bébé quelques mois plus tard auprès des services sociaux.

Mais c’était sans compter sur la nébuleuse de la destinée car très rapidement un cancer foudroyant l’a emportée laissant de nouveau Paolo seul avec l’immensité de son désespoir.

Depuis, sa vie d’orphelin a été jalonnée par des placement dans des familles d’accueil pour aboutir à 12 ans dans notre foyer afin de l’accompagner dans son projet de vie.

Paolo faisait partie de ces êtres dont le parcours atypique le rendait attachant mais aussi déterminé dans le désir de s’en sortir. Il voulait d’autant plus réussir sa vie qu’il n’ en a jamais connue une comme les autres.

Son désir de normalité supplantait tout dont la scolarité tortueuse traversée par divers troubles psychiques comme l'anorexie a aboutit, à force d'obstination, à l'acquisition du bac.

Paolo avait une passion, une folle passion, c'était les bagnoles, les belles bagnoles. Pas question pour lui de monter dans une de nos voitures les plus pourries, et si d'augure il n'avait pas le choix, pauvres de nous adultes, quelles suppliques nous supportions...

A l'orée de ses 18 ans, une obsession l'envahissait, c'était de passer le permis de conduire le plus rapidement possible, et comme pour le reste, Paolo a fini par l'obtenir.

Maintenant notre préoccupation, c'était de freiner Paolo dans le gaspillage de son argent en louant des voitures de luxe le week-end. Il a dilapidé toute son épargne.

Fauché, Paolo a donc trouvé une solution à son problème pour assouvir sa passion devenue au fil du temps un réel besoin. Aux grands maux les grands remèdes.

Il est arrivé à subtiliser les doubles de clés d'une voiture neuve du foyer pour se promener au frais de la princesse durant le week-end et la ramener le lundi au petit matin sans que personne ne s'en rende compte. Avec une fréquence de plus en plus régulière...

Aussi, qu'elle ne fut pas la surprise d'un chef de le croiser au détour d'une rue en ville au volant d'une voiture professionnelle, fier comme d'Artagnan.

Branle-bas de combat, un dispositif a été mis en place pour sécuriser l'accès du parc-automobile, et même si une sanction a été posée, chacun au fond s'amusait de cette histoire car comment en vouloir à Paolo, lui qui n'a fait qu'emprunter une voiture de l'institution dont il est l'enfant. 

(Paolo a décroché un emploi commercial en CDI, a son propre appartement et est revenu au foyer dernièrement récupérer des documents pour effectuer un dossier de prêt pour l'achat d'une voiture).